Depuis l’année dernière, DMOA architecten a établi ses quartiers au Ruelensvest à Louvain (près du ring). Pour ce projet de nouvelle construction, les concepteurs sont restés bien loin des lignes épurées et des matériaux hypermodernes. Bien au contraire, ils ont opté consciemment pour une combinaison d’artisanat, de techniques contemporaines et d’art frivole. Les bureaux, qui servent aussi de lieu de rencontre, offrent ainsi de nombreuses surprises et innovations. Par exemple : la façade a été construite en béton damé et dissimule un xylophone géant. De plus, le bâtiment est neutre sur le plan énergétique. À cet effet, il a notamment été équipé de pieux énergétiques. Et dire que cet endroit dépérissait depuis des années, personne ne sachant que faire de cette petite parcelle triangulaire.
Les collaborateurs de DMOA ont baptisé leur nouvel espace de travail « Kruul ». Dès le début, ils nourrissaient l’ambition de transcender un lieu de travail banal et l’architecture correspondante. Ils rêvaient d’un lieu de rencontre et de connexion, qui vivrait aussi en dehors des heures de bureau. « Nous cherchions à optimiser l’utilisation de l’espace. Le soir et le week-end, nous ne voulions pas voir des espaces vides derrière des fenêtres sinistres. C’est pourquoi nous invitons la communauté environnante à utiliser notre bâtiment. Nous utilisons le rez-de-chaussée et le penthouse comme salle à manger et salles de réunion. Mais ces espaces se prêtent à bien d’autres usages », déclare Benjamin Denef, cofondateur de DMOA.
Un coin perdu
L’édification de Kruul a été un parcours de découvertes et d’activités passionnant pour DMOA. Tout a commencé avec une petite parcelle en angle très aigu flanquée d’une maison délabrée le long d’un ancien mur d’enceinte à Louvain. « Très peu de personnes s’étaient montrées intéressées, mais nous avons vu tout le potentiel de cet emplacement juste à côté du ring et avec un parc verdoyant en guise de paysage à l’arrière. Nous étions donc ravis de relever ce défi urbanistique et avons mis tout en oeuvre pour le mener à bien. Afin de pouvoir concrétiser pleinement notre vision, nous avons contacté la Ville de Louvain pour racheter quelques petites parties du domaine public », ajoute le cofondateur Matthias Mattelaer. C’est sur cette base que DMOA a imaginé un immeuble de bureaux conçu pour résister à l’épreuve du temps. « Le bâtiment est là pour rester. Cette zone est prisée, et comptera donc toujours de nombreux bâtiments. C’est pourquoi nous avons opté pour une architecture de qualité, une production d’énergie durable et des matériaux très robustes. En outre, chaque étage a été organisé comme un espace ouvert, ce qui lui permet de changer de destination de manière à la fois flexible et économique », ajoutent Benjamin et Matthias.
La renaissance du béton damé
Les façades de Kruul reflètent le choix d’une architecture de qualité avec des matériaux robustes. Les pans de façade fermés ont été réalisés en béton damé. Il s’agit là de l’interprétation moderne d’une ancienne technique de construction de murs. Nos ancêtres utilisaient de la terre damée, à savoir un mélange de terre et d’argile qu’ils damaient. En 1820, François Martin Lebrun perfectionnait cette technique en remplaçant l’argile par du ciment. Le mélange de béton maigre et sec est mis en place couche par couche et damé juste assez longtemps pour que la surface soit compactée. Ce n’est qu’une fois cette couche durcie que la suivante peut être posée.
Cette méthode de travail a fait du béton damé un matériau gourmand en main-d’oeuvre, raison pour laquelle il est tombé dans l’oubli. Au milieu des années 2000, l’architecte suisse Peter Zumthor a fait renaître ce matériau avec la construction de la Bruder Klaus Feldkapelle en Allemagne, dans l’Eifel. Cette technique a attiré l’attention de DMOA, qui l’avait déjà récupérée pour un premier projet : la Farmer’s house. Et, pour leurs propres bureaux également, le béton damé offrait l’aspect et la durabilité recherchés. « Nous avons beaucoup expérimenté pour trouver une composition optimale. Nous cherchions à obtenir un béton damé granuleux de couleur brun pastel dont l’épaisseur ne pouvait pas dépasser 10 cm. Le béton sec a été coulé en fines couches dans un coffrage glissant et damé manuellement. Toute l’équipe de DMOA s’est retroussé les manches pour faire aboutir ce projet. La couleur obtenue est entièrement naturelle. Elle résulte de l’emploi de sable issu d’une carrière de Lubbeek. Nous y avions commandé une grande quantité de sable brun chocolat. Les autres composants ont adouci la couleur jusqu’à obtenir un brun clair et lumineux. Nous n’avons donc pas ajouté de pigments, dont la couleur s’estompe avec le temps. C’est tout simplement la couleur naturelle de notre mélange », précise Benjamin Denef.
La façade s’est vue conférer une dimension durable supplémentaire. En effet, les écarteurs sélectionnés pour le coffrage glissant ont fait de la façade un hôtel pour abeilles. « Nous avons opté pour des cannes de bambou. Ces 500 petits tubes qui traversent la façade sont autant de refuges idéaux pour les abeilles solitaires, qui sont une espèce menacée. Les premières abeilles s’y sont d’ailleurs déjà installées », poursuit Matthias Mattelaer.
Une façade vivante
Mais DMOA est allé encore plus loin. Outre son aspect visuel particulier, la façade présente aussi une dimension auditive hors du commun. En collaboration avec le professeur Andrew Vande Moere (groupe de recherche Research[x]Design) et l’étudiant Maarten Houben de la KU Leuven, l’équipe a imaginé un projet sonore interactif : le « MUURmelaar » (MURmurant). Les encadrements de fenêtre en châtaignier se sont ainsi vus transformés en « instruments ».
« Dans chacune des 17 fenêtres, un petit bloc de bois a été fixé de manière lâche. Un maillet à commande électronique peut venir frapper ce bloc, transformant l’ensemble en xylophone interactif géant. Une caméra, elle aussi intégrée dans la façade, enregistre les mouvements des passants. Le système analyse la vitesse de leur déplacement et la convertit en sons, ce qui donne naissance à un paysage de sonorités boisées sur fond de notes et de rythmes divers. La façade interactive – le MUURmelaar –, émet non seulement des sons, mais les adapte aussi aux mouvements, à la direction et à la vitesse des passants. Une personne qui passe en trombe le long du bâtiment et une autre qui flâne engendreront des rythmes différents », nous explique-t-on.
Des fondations génératrices d’énergie
Kruul ne se limite pas à son remarquable concept de façade. Le bâtiment est neutre sur le plan énergétique. Pour parvenir à ce résultat, DMOA a misé sur différentes techniques. La plus marquante est sans aucun doute celle des pieux énergétiques. « Au niveau des fondations du bâtiment, nous devions prévoir des pieux. Une petite déconvenue pour le budget, pourriez-vous penser. Mais nous avons eu vite fait de transformer cette nécessité en une véritable aubaine. Nous avons utilisé les pieux comme sources d’énergie. Cela nous a permis de faire l’impasse sur le forage en profondeur destiné à la pompe à chaleur géothermique. Les 22 pieux sont désormais équipés de boucles de 10 mètres de profondeur, lesquelles fournissent suffisamment d’énergie pour chauffer et refroidir passivement le bâtiment », commente Benjamin Denef. La pompe à chaleur qui échange l’énergie avec le sous-sol utilise le principe d’activation du noyau de béton pour alimenter des conduits qui ont été coulés dans la structure en béton, même dans les pans inclinés du toit.
Des cellules photovoltaïques produisent l’électricité requise au sein du bâtiment. DMOA a ici opté pour des cellules de nouvelle génération à double captation. C’est pourquoi le toit a été pourvu d’une finition blanche. Afin de renforcer encore les performances énergétiques déjà remarquables du bâtiment, il a été décidé d’effectuer un suivi de la consommation de tous les appareils. Un système smart building traite automatiquement ces informations afin de gérer le bâtiment en utilisant aussi peu d’énergie que possible.